janko domsic
le mécanicien céleste
Apparue à Paris il y a près de quarante ans, la comète Domsic n’est connue que par les traces laissées dans son sillage. Et le mystère entourant son existence et son oeuvre n’est pas prêt de se dissiper.
L’on doit sa découverte à Alain Bourbonnais – fondateur de la Fabuloserie – qui venait de créer l’Atelier Jacob, sa galerie, dans la rue du même nom.
Informé de la présence de curieux dessins sur les cimaises d’une exposition collective dans la mairie du 3e arrondissement de Paris – qui n’a guère laissé de souvenir – il a fini par en rencontrer leur auteur, Janko Domsic.
Né à Malunje, en Croatie, en 1915, on ne sait de sa vie que le peu qu’il ait bien voulu livrer au détour d’une logorrhée empreinte de mysticisme. Il serait arrivé en France dans des circonstances obscures, aurait peut-être séjourné en prison et travaillé, vers 1935, à la construction du chemin de fer à Pontsur-Yonne où, selon lui, des traverses porteraient encore son nom gravé à la hache. À Paris, non loin du cimetière de Montmartre, il établira un dortoir de fortune au sixième étage d’un immeuble qu’il ne quittera plus jusqu’en 1983, date de son décès. Trop exigu pour s’y livrer à son grand oeuvre, Domsic préférait au secret de sa tanière l’anonymat grouillant d’un café.
C’est là qu’en véritable démiurge il réalisait ses compositions qui, pas plus que leur auteur, n’ont livré tous leurs secrets.
« Je n’ai jamais été à l’école, pas une journée, alors j’ai appris à écrire les premières lettres chez les bohémiens » déclarait-il tout en affirmant une ambition qui éclaire un peu davantage l’importance des textes dans sa création : « moi, je suis écrivain, toujours été penché sur l’économie générale et internationale, cotée en dollars »
Ce qui pourrait apparaître pour une boutade lorsque l’on examine son oeuvre, révèle en fait l’une de ses caractéristiques principales, à savoir l’indissociabilité de l’écrit et de l’image. Comme tant d’autres créateurs d’art brut, Domsic y réconcilie en quelque sorte ce que l’étymologie n’a jamais disjoint, le, voire la graphique.
Il prétendait d’ailleurs destiner ses productions à la publication. De ce fait, Domsic n’employait peut-être pas simplement le dessin pour y développer tout un arsenal symbolique mais également pour faciliter l’accès à ses textes tout de même abstrus. « Mes écrits sont codés » disait-il. En effet, et quelle que soit la proportion de texte dans ses compositions – rares sont celles qui en sont dénuées – on peut s’apercevoir immédiatement à leur examen qu’elles sont le produit d’un système très élaboré.
La présence de son patronyme d’abord, ironie de l’immigrant, transcrit phonétiquement « Domchitch », et auquel il avait adjoint quelques attributs qui révèlent à la fois la facétie du personnage et sa vocation éthérée : Janko Bonsang Halleluya Domchitch. Un document de la Préfecture de Police l’officialise, même.
Non loin, dans les parages de son nom, trouve t-on « BOG », Dieu en croate. Ès qualités ? Parfois, l’acronyme U.R.S.P.I.U.S. – Uni, Resolu, Solaire, Planetaire, Indexe, Unifie, Stratmospherique – finit, s’il en était besoin, de décliner les titres, sinon les intentions, de l’auteur. D’ailleurs, passée l’impression de scansion, de répétition, de litanie parfois, ses textes révèlent un inventeur génial de néologismes qui, au-delà d’une apparente cacographie, opère, comme dans ses dessins, par agglutination, par fusion.
Démiurge, constructeur, ordonnateur, il est tout ceci à la fois. « L’esprit géométrique des dessins de Domsic trahit l’utilisation de la règle et du compas, deux outils de la franc-maçonnerie empruntés à l’art de bâtir ».
Le syncrétisme vers lequel il tend révèlerait une volonté eschatologique d’établir un nouvel ordre – angélique, pourrait-on dire – dont ses compositions seraient également la carte céleste. Les personnages, lorsqu’ils ne sont pas dotés d’ailes, semblent juchés sur des arc-en-ciels ou le sommet d’un nuage, prêts à s’élancer vers leur destin. À peine sont-ils lestés de quelques symboles terrestres, qu’ils soient religieux, politiques ou économiques. Ces créatures ambivalentes – dont la tension des postures contraste avec la mécanique aérienne qui les constitue – ressemblent certainement à leur secret auteur : de solides convictions mêlées à de fragiles aspirations. Le tout appelé à se dissoudre dans un absolu inédit dont nous n’avons pas fini de scruter les arcanes. Domsic, du fond de son café parisien, produisit une oeuvre parmi les plus complexes et les plus énigmatiques de l’art brut, l’une des plus belles, au sens platonicien.
Et ce, bien que nous n’en apercevions plus que la queue de la comète, au loin, dans des sphères «orégionales».
Démiurge, constructeur, ordonnateur. C’est dans son dortoir de fortune non loin du cimetière de Montmartre, à Paris, que cet exilé croate réalisait ses compositions célestes emplies de symboles religieux, politiques et maçonniques. « Mes écrits sont codés. » Ses dessins, comme les textes qui les accompagnent, répondent à un système très élaboré. Magnifié dans l’exposition art brut, collection abcd / Bruno Decharme, en 2015, à la maison rouge (Paris), ses œuvres figurent dans toutes les grandes collections d’art brut, publiques et privées, du monde.
Avant-propos : Christian Berst.
Publié à l’occasion de l’exposition Janko Domsic : le mécanicien céleste, du 17 octobre au 22 novembre 2008. Edition revue et augmentée en 2018.