Joaquim Vicens Gironella :
paradis perdu
La galerie consacre pour la deuxième fois une exposition monographique à l’œuvre de l’artiste espagnol Joaquim Vicens Gironella, en montrant plus de 20 sculptures en liège allant des années 1950 à la veille de sa disparition.
En 1948, Joaquim Vicens Gironella (1911-1997) fut, après Adolf Wölfli, la deuxième grande figure de l’art brut qu’André Breton et Jean Dubuffet choisirent d’exposer au sein du pavillon mis à leur disposition par Gaston Gallimard dans les jardins de sa maison d’édition. En ouverture du catalogue qui accompagnait l’événement, un Dubuffet subjugué écrivait : « Cette chair organique où il porte la main – c’est l’arbre et la forêt qui parlent dans ces lièges – excitent apparemment l’artiste à des associations d’idées sur un fil poétique, voire le jettent dans une espèce de fiévreux délire. Le mouvement de ses créations est signé d’Espagne : tempétueuse danse, brutale véracité, grotesque tragique, respect de la laideur, érotisme philosophique et grave, sang et mort ». En effet, cet ouvrier liégeur catalan exilé à Toulouse après la victoire de Franco, avait mis sa compétence professionnelle au service d’un déploiement de créativité sans ambages.
Sous ses doigts experts, ses bas-reliefs et ses sculptures en liège s’étaient mis à raconter aussi bien les ferveurs sacrées que les suavités profanes de sa Catalogne natale. Les deux mêlées quelquefois, comme entrelacées, dévoilant l’étonnant lignage entre l’art roman catalan et le surréalisme. En artiste, il honorait en premier lieu les propriétés qu’avait cette écorce mordorée à rivaliser avec la statuaire la plus aristocratique. Et, selon qu’il la polissait ou en conservait les rugosités, il nouait un pacte avec la lumière pour nous émouvoir à tous les coups. Sans occulter que - derrière la jubilation perceptible de celui qui écrivait à Dubuffet « j’ai refusé toute leçon » - affleurait, ça et là, la mélancolie de l’exil, la nostalgie de son paradis perdu.
C’est pourquoi, à l’heure où l’art brut gagne ses lettres de noblesse, et tandis que la chance de découvrir de tels ensembles historiques décline à mesure, nous sommes particulièrement heureux - quinze ans après la première exposition qui nous lui avions consacrée - d’honorer à nouveau le talent de ce maître avec un ensemble caractéristique de son art allant des années 1950 jusqu’à la veille de sa disparition.
Né en Catalogne, Gironella (1911-1997) prend tôt le métier de son père artisan liégeur. S’ensuit une histoire d’une vie avec le liège que n’arrêtera pas l’exil vers la France forcé par Franco. Ainsi, dès 1948, Jean Dubuffet et André Breton lui consacrent une exposition. Puis, en 1967, Gironella fait partie des artistes de l’exposition L’art brut, accueillie par François Mathey au Musée des Arts Décoratifs. En juin 2021, ses œuvres ont été présentées dans l’exposition Brutal Beauty sur Jean Dubuffet, au Barbican center à Londres. Dernièrement, les oeuvres de Gironella ont rejoint l’exposition Francesc Tosquelles. Comme une machine à coudre dans un champ de blé, qui finira sa course au American Folk Art Museum en octobre 2023(après Les Abattoirs ; le Musée Reina Sofía…)
Texte : Guillaume Oranger
Avant-propos : Christian Berst
Publié à l’occasion de l’exposition joaquim vicens gironella : paradis perdu, du 6 avril au 4 juin 2023.