carlo zinelli
une beauté convulsive
À la fin des années 50, Dino Buzzati puis Alberto Moravia prenaient la plume pour signaler au monde le grand créateur qui venait de se révéler dans l’enceinte de l’asile San Giacomo à Vérone. Carlo Zinelli commençait tout juste à peindre sur papier ce qu’il avait ébauché plus tôt en lacérant les murs de l’établissement avec des pierres et des morceaux de brique.
Né en 1916, il a commencé par travailler à la ferme puis aux abattoirs. Volontiers solitaire, il se distinguait alors par son dandysme, son goût pour le dessin et la musique, avant que la guerre, qu’il fit comme chasseur alpin, n’exacerba sa schizophrénie. Son oeuvre - sorte de conte autobiographique qui illustre ces épisodes ayant précédé l’internement - représente une véritable révolution formelle : tour à tour l’itération, la dislocation, le dédoublement, l’atrophie, la stylisation, l’absence de perspective, les variations de plan et d’échelle, l’écriture dans les interstices qui bat comme un pouls, et puis la couleur, la couleur donnant aux silhouettes une densité palpable, tout ceci confère à la composition un rythme d’une modernité effrénée.
Ceux qui l’entouraient disent de lui qu’il n’avait ni l’intention, ni la conscience de produire une oeuvre, et ce bien qu’à sa mort, en 1974, on estima à trois mille le nombre de ses dessins - la plupart recto-verso - mais dont seul un tiers a été retrouvé. Jean Dubuffet et André Breton en ont, sans en percer les arcanes, admiré la beauté qui, comme l’affirmait ce dernier, « sera convulsive, ou ne sera pas ».
Interné définitivement à l’âge de 31 ans après avoir participé à la guerre d’Espagne avec le contingent italien, Carlo Zinelli est aujourd’hui considéré comme une figure phare de l’art brut. Sortes de contes illustrant des épisodes ayant précédé son internement, ses dessins itératifs et disloqués dans lesquels la perspective est abolie au profit d’écritures interstitielles, semblent annoncer le concept de « modernité ». Mis à l’honneur dans nombre d’expositions internationales, Carlo Zinelli a été exposé au Giardini lors de la Biennale de Venise de 2013 et nous avons le plaisir de présenter ses œuvres à l’occasion d’Art Basel Paris 2024. Un ensemble important de ses œuvres a rejoint en 2021 les collections du Centre Pompidou.
Préface : Daniela Rosi
Avant-propos : Christian Berst
Publié à l’occasion de l’exposition Carlo Zinelli : une beauté compulsive, du 10 juin au 23 juillet 2011.