Jesuys Crystiano:
Concerto pour serpent et orchestre
L’écrivain et enseignant Manuel Anceau vous convie le samedi 4 mars à 14h à l’Institut de Théologie Protestante pour un événement autour de l’œuvre de l’artiste brésilien Jesuys Crystiano. Cette séance se fera dans le cadre du séminaire “De la trinité en déroute au sinthome”, dirigé par Lise Maurer.
« Le Brésil est un pays trop chaud où la nature mangera un jour les fragiles décors surélevés dont l’homme essaie de s’entourer. Les termites vont dévorer les gratte-ciel, tôt ou tard, les lianes vierges bloqueront les autres et la vérité du Brésil éclatera enfin. »
Albert Camus (in Lettre à René Char, août 1949).
Ici souffle un vent venu d’on ne sait quel large, tordant comme à plaisir les branches des arbres, les bras des singes, les ailes des avions-cargos, aussi bien que les nez et les oreilles d’hommes tantôt nuages tantôt rochers, à la bouche comme des becs, où s’enfoncent de longues pipes, tandis que les bateaux ont allure de lamantins, et que les horloges sont des tambours, aux aiguilles immobiles, bien sûr, de ne pas être des aiguilles – mais des baguettes de tambour. Tout un monde connu certes, peu ou prou reconnaissable s’exhibe dans ces dessins, mais comme rendu à une plasticité première : un monde de verre soufflé, dont les formes, bien qu’au risque, parfois, de la rupture, de la brisure fatale, parviennent à convaincre l’œil, sans plus d’argument, que ce monde-là, où les chèvres caracolent sur les avions, où les microphones et les vases sont aussi hauts que des tours, où des arbres, monstrueux insectes, engluent, telles des mouches, des aéronefs patentés, quoique, pour certains, dotés d’une langue comme les serpents – pour ne lister que les plus évidentes dilatations (autant, ballons gonflés à l’hélium, d’objets et de créatures libres de toute pesanteur) : que ce monde-là existe bel et bien. Et s’il existe c’est me semble-t-il d’abord par sa cohérence : rien de moins capricieuse qu’une bizarrerie aussi calculée, aussi obstinée à faire subir à toute chose le même sort.
Par ces traits de crayon, aussi secs, et sûrs de leur effet que des coups de hache : un monde se donne à voir, où plus rien ou presque ne se dresse comme avant. De quel large vient ce vent déformant tout ou presque ; de quelle « bouche d’ombre », pour parler comme Hugo, sort ce souffle puissant, emportant objets, hommes, animaux et décors (naturels ou urbains) dans un même tourbillon d’échos visuels, images à double ou triple entrée, en autant d’associations mi-burlesques mi-horrifiantes ? Nous ne le saurons pas, étant là le seul bien, sans doute, qu’emporta, dans sa tombe, ce Jesuys Crystiano (1950 ? – 2015) dont nous ne savons avec certitude qu’une chose : que la vie le déposséda, matériellement, et même symboliquement (cf. sa date de naissance, « décidée » par un tribunal !) d’à peu près tout.
Manuel Anceau
Participation aux frais : 10 euros.
Adresse : Institut de Théologie Protestante. 83, Boulevard Arago, Paris
Jesuys Crystiano seems to have spent his adult life wandering the streets of Ilheus (Bahia) until 2010, when a German hotelier - who had noticed his wall drawings - took him in and provided him with material to put his surrealist worlds on paper, thus saving him from being hospitalized in a psychiatric institution. During his last 5 years of life, Jesuys was able to produce hundreds of drawings, populated with vultures, soccer players, overturned chairs and tables, characters with interlocking faces, drawn with colored pencil and charcoal, often enhanced with collages and annotations.