face à face
commissaire gaël charbau
« Quand Christian Berst m’a proposé de travailler avec lui à un nouveau projet, je n’ai pas beaucoup tardé à répondre. Notre première collaboration remonte à 2015, lorsqu’il me proposa d’assurer la première exposition en Europe de John Urho Kemp, que nous avions intitulé d’un commun enthousiasme « Un triangle des Bermudes ». Je garde un souvenir vertigineux de cette plongée dans l’univers de celui qu’on surnommait de son vivant « Crystal John ». Véritable mathémagicien, son œuvre me fascina en premier lieu par sa forme plastique, qui se révéla de plus en plus mystérieuse dans le fond, à mesure que nous explorions ses archives. Déjà, un pont était jeté entre ma pratique de commissaire travaillant dans l’univers de l’art contemporain et celle de cet artiste « sans destinataire manifeste ».
Certains voient parfois d’un œil circonspect ce mélange des ADN : que les « curators » s’occupent des pseudos artistes contemporains, et qu’on laisse l’art brut aux spécialistes ! Pour ma part, je n’ai jamais aimé les étiquettes, qui me semblent seulement adaptées aux étalages des supermarchés et à ceux qui veulent montrer là où ils s’habillent. Dans l’art, elles ne servent finalement qu’à organiser l’histoire et à fabriquer des spécialités différentes, mais dès lors que nous prenons un peu de hauteur, nous sommes bien tous au même endroit, penchés sur des formes qui nous fascinent.
C’est le sens, je crois, de la démarche de Christian Berst avec l’ouverture de « The bridge », un espace qui acte cette nécessaire iconoclastie. Elle ne réduit en rien l’histoire et les spécificités de l’art brut, ancien, moderne ou contemporain, mais elle leur offre un espace concret de rencontre et de dialogue, précisément là où il faut habituellement changer de rive. « The bridge » se destine à rendre possibles des expériences : que se passe-t-il lorsqu’on accroche celle-ci aux côtés de celui-là ? Comment se renouvelle notre plaisir des formes et comment ces formes brillent-elles autrement lorsqu’on les sort de leurs galaxies respectives ?
Pour cette première exposition intitulée « Face à face », j’ai proposé que l’on s’intéresse à un motif universel et évident, qui tend pourtant à disparaître, ces derniers mois, de l’espace public : le visage.
Mêlant des œuvres issues de la collection éclairée de Laurent Nebot et de la galerie, « Face à face » ne cherche pas à théoriser cette partition et assume au contraire des résonances « sympathiques » entre les œuvres, comme on le dit en musique lorsqu’une corde en fait vibrer une autre. Comment résonne une pièce d’Annette Messager aux côtés d’un Misleidys Castillo Pedroso, un visage de Raymond Coins près du « Chaînon manquant » de Philippe Mayaux, comment vibrent un poteau funéraire des hauts plateaux vietnamiens et une figure biffée de José Manuel Egea ? Faisons l’expérience. »
Gaël Charbau
Artistes exposés:
Arman, Frédéric Bruly Bouabré, Jorge Alberto Cadi, Misleidys Castillo Pedroso, Raymond Coins, José Manuel Egea, Hampatong Dayak, Anton Hirschfeld, Tetsumi Kudo, Dwight Mackintosh, Stéphane Mandelbaum, Philippe Mayaux, Annette Messager, Luboš Plný, Acharya Yakul, Carlo Zinelli.
Texte : Gaël Charbau
Publié à l’occasion de l’exposition face à face, commissaire : gaël charbau, du 22 octobre 2020 au 24 janvier 2021.
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