Aloïse
Figure majeure de l’art brut, Aloïse Corbaz a réalisé plus de 2 000 dessins, la plupart recto verso, en milieu asilaire. Cette femme qui se rêvait cantatrice, éternelle amoureuse, entretenait un rapport quasi mystique à sa production admirée par Jean Dubuffet. Son oeuvre fait aujourd’hui partie des plus grandes collections comme celles de l’American Folk Art Museum, du musée national d’Art moderne ou de la Collection de l’Art Brut.
Aloïse Corbaz, septième enfant d’un employé des postes, naît à Lausanne en 1886, dans une famille modeste, peu cultivée et marquée par l’alcoolisme. En 1911, elle est envoyée en Allemagne après être tombée follement amoureuse d’un prêtre défroqué, où elle travaille comme institutrice, puis comme gouvernante du chapelain de Guillaume II à Potsdam. Demeurée célibataire, elle conçut alors une passion délirante pour l’empereur, entraperçu un instant. C’est à la veille de la guerre qu’elle manifesta les premiers symptômes de schizophrénie. Elle fut internée cinq
ans plus tard, en 1918, d’abord à l’hôpital de Cery, puis en 1920 à l’asile de la Rosière à Gimel où elle resta jusqu’à sa mort.
Toute l’œuvre d’Aloïse est une idéalisation romantique du couple. Réalisée aux crayons de couleur sur de grands papiers de récupération cousus ensemble et souvent utilisés sur les deux faces. On reconnaît facilement ses personnages à leur regard vide, en général dessiné en bleu, comme un masque de théâtre, ou au maquillage sensuel de leurs lèvres épaisses surmontant d’abondantes poitrines figurées comme des bouquets de roses. Après 1949, ses œuvres, d’une composition plus complexe, devinrent des suites de scènes théâtrales. Les plus grandes d’entre elles peuvent atteindre 14 mètres, parfois recto verso.
Il fallut attendre 1936 pour que l’on commence à considérer la production exceptionnelle de cette malade, à laquelle s’intéressa ensuite Jacqueline Porret-Forel, médecin qui lui consacra sa thèse de fin d’étude. Aloïse ne cessa de créer jusqu’à sa mort en 1964.
En mai 2024, le biopic consacré à Aloïse Corbaz (réalisé en 1975) par Liliane de Kermadec et André Téchiné, avec Isabelle Huppert et Delphine Seyrig dans les rôles d’Aloïse jeune et adulte, Michael Lonsdale dans celui du médecin, est ressorti en salle dans une version restaurée.
En 2024, ses œuvres sont présentées à la Biennale de Venise sous le commissariat d’Adriano Pedrosa.
Préface : Bruno Decharme
Avant-propos : Christian Berst
Publié à l’occasion de l’exposition Art brut, masterpieces et découvertes : carte blanche à Bruno Decharme, du 21 octobre au 29 novembre 2014.