le lointain
« La trace est l’apparition d’une proximité, quelque lointain que puisse être ce qui l’a laissée. L’aura est l’apparition d’un lointain, quelque proche que puisse être ce qui l’évoque. Avec la trace, nous nous emparons de la chose ; avec l’aura, c’est elle qui se rend maîtresse de nous. »
En quelques lignes, Walter Benjamin nous renvoie à notre rapport à l’art - de sa production à son expérience - mais également à sa genèse. Les notions d’aura et de lointain faisant ici écho à « l’inquiétante étrangeté » chère à Freud. Comment qualifier, en effet, les mécanismes secrets et intimes qui poussent l’Homme à vouloir résoudre ses errances métaphysiques par la fabrication d’objets transitionnels sacrés ? En théorisant l’art brut, en arpentant le territoire supposé, Dubuffet avait abordé, sans le savoir ou sans le dire, les mêmes contrées.
Mais là où ce dernier paraît isoler l’artiste ou le créateur dans sa pratique en insistant sur son autonomie par rapport aux productions dites « culturelles » - parlant d’oeuvres issues « de leur propre fond » - Benjamin resitue l’artiste dans sa nature, dans sa condition d’Homme confronté à son mystère.
Néanmoins, le grand mérite de Dubuffet reste - en les nommant - d’avoir su mettre en lumière les productions qui, de nos jours encore, référent à ce processus originel. Un processus par-delà les traditions, par-delà les usages collectifs, mais ontologiquement indissociable.
Les créateurs d’art brut que nous avons réunis ici illustrent de façon saisissante ce « lointain » si proche pourtant. Tous ont en commun d’avoir voulu rendre leur monde plus « habitable », en en appelant parfois à d’autres mondes. Et en voulant donner corps à leur lointain, ils nous ouvrent les portes du nôtre.
Avant-propos : Christian Berst
Publié à l’occasion de l’exposition Le lointain, du 28 janvier au 1er mars 2014.