Adolf Wölfli
Adolf Wölfli est la figure emblématique de l’art brut du XXe siècle, auteur de plus de 1500 dessins et d’une biographie de 25 000 pages. Il a construit un univers personnel et complexe, où il réinvente son passé et projette un avenir utopique, colonisé jusqu’aux confins de l’espace. La richesse et la démesure de cet œuvre provoquent le vertige. La liste des artistes qu’il fascine est longue (parmi eux Jean Dubuffet, Annette Messager, Arnulf Rainer), à l’image de sa présence dans les collections : musée national d’art moderne (France), collection Prinzhorn (Allemagne), LaM (France). Comme le soulignait André Breton, c’est là « une des trois ou quatre œuvres capitales du XXe siècle ».
Wölfli, né à Bowil en 1864, connaît une enfance rude ; son père, tailleur de pierre qui noyait sa paye dans l’alcool, abandonne sa famille en 1872. Projetés dans la misère, Wölfli et sa mère sont placés comme manœuvre dans deux fermes différentes. Peu de temps après, sa mère décède, ce qu’Adolf apprend 3 mois plus tard. Dès lors, il erre de famille en famille où il connaît parfois d’âpres traitements tout en parvenant à suivre une scolarité. Des déceptions amoureuses l’affectent grandement et marquent son parcours. En 1890, il est incarcéré pour attentat à la pudeur ; cinq ans plus tard, un nouvel épisode mène à son internement à la clinique psychiatrique de Waldau près de Berne, où il mourra en 1930 d’un cancer de l’estomac.
Dès 1899, Wölfli plonge dans l’antre de la création et élabore un univers tant personnel que complexe narrant l’épopée de St Adolf II. Il y réinvente son passé, puis projette un avenir utopique où St Adolf II colonise l’univers jusqu’aux confins de l’espace, empire démesuré qui oblige Wölfli à augmenter le système numérique de plusieurs unités dont la plus élevée se nomme colère. Pour célébrer cet avènement, dessins, écritures, collages et portées de musique dialoguent en un foisonnement majestueux de 25 000 pages. Le psychiatre Morgenthaler s’intéresse à son œuvre et lui consacre un ouvrage en 1921 : Ein Geisteskranker als Künstler (Un malade mental en tant qu’artiste). Plusieurs artistes et collectionneurs s’intéressent de son vivant à son œuvre : Wölfli accepte alors de ne leur vendre que sa « Brodkunst » qu’il fait spécifiquement pour l’occasion. Redécouvert par Jean Dubuffet en 1945, cet œuvre monumental jouit d’une reconnaissance internationale, bien au-delà de l’art brut. Sans doute fascine-t-elle par sa capacité rare à « défie[r] notre mode de pensée et modifie[r] fondamentalement notre vision du monde » (D. Baumann).
Préface : Jean-Hubert Martin
Avant-propos : Christian Berst.
Publié à l’occasion de l’exposition Sur le fil, du 9 avril au 22 mai 2016.