les habités
l’art premier et l’art brut en dialogue
Il n’est pas rare que les gens confondent les termes d’art brut et d’art premier. J’y vois deux raisons principales : l’une liée aux qualificatifs brut et premier qui semblent signaler que nous sommes en présence de productions originelles, à l’état natif. La seconde liée au fait que ces arts induisent un décentrement du regard occidental, la prise en compte d’une altérité souveraine, qu’elle soit culturelle ou intime.
L’art brut comme l’art premier ont en commun de se situer à la marge des normes et de l’académie. Bien que l’institutionnalisation de l’art premier ait près d’un siècle d’avance sur celle de l’art brut, les « ailleurs » que ces champs mettent en lumière nous obligent à élargir l’horizon de l’histoire de l’art et, par conséquent, à reconsidérer la définition même de l’art.
Bien sûr, là où l’art premier témoigne de mythologies collectives - ce que souligne l’anonymat de ces artistes -, l’art brut rend visible des mythologies individuelles - ce qui est mis en relief par l’insularité de ces auteurs. Et s’il se peut que certaines parentés visibles ne soient que fortuites, les analogies formelles sont en revanche nombreuses qui trahissent un terreau commun, qui laissent deviner une source archétypique semblable. Les artistes du XXe siècle ne s’y sont d’ailleurs pas trompés, collectionnant les uns comme les autres avec l’impression diffuse de revenir à un stade édénique de l’art.
Il est en tout cas notable que l’art brut comme l’art premier paraissent procéder de la même quête de réponses aux grands enjeux existentiels. Ces créateurs attribuent à l’art le pouvoir « d’habiter le monde », de le réparer, de construire des passerelles vers l’inconnu, le surnaturel, le sublime. « Premiers » et « bruts » exaltent la notion de secret et de sacré, c’est pourquoi elles nous paraissent profondément habitées.
Habitées par les esprits pour les uns et par leurs auteurs pour les autres.
Les 20 ans de la galerie, plus qu’une occasion de célébrer, m’ont encouragé à vouloir confier ce commissariat à Daniel Klein et Antoine Frérot, deux très chers amis collectionneurs - en plus d’être des soutiens historiques de la galerie. L’un comme l’autre animés de la volonté de décloisonner les catégories, l’un comme l’autre nourrissant au sein même de leurs collections ces dialogues et ces confrontations comme des révélateurs édifiants auxquels je suis moi-même si attaché.
Christian Berst


















