Giovanni Bosco
Les journées du sicilien Giovanni Bosco furent rythmées par des chansons populaires napolitaines et des peintures d’une inventivité rare qu’il exécutait sur les murs de sa ville ou sur des matériaux de fortune : corps démembrés ou “surmembrés”, serpenteaux et homoncules, coeurs céphaliques, mots et signes scandés dans l’intervalle du dessin. Inventeur d’un langage plastique sans pareil, l’artiste fait aujourd’hui partie de prestigieuses collections dont celles d’Antoine de Galbert, abcd/Bruno Decharme (France), Treger-Saint Silvestre (Portugal) et Amr Shaker (Suisse).
La vie douloureuse du peintre sicilien Giovanni Bosco a toujours eu pour cadre Castellammare del Golfo. Cette ville est située entre Palerme et Trapani, entre la montagne et la mer. Pasteur ou pêcheur : deux variantes de la même pauvreté s’offraient souvent, naguère, à ses habitants. La famille de Giovanni n’étant pas tournée vers les activités maritimes, son enfance se passe à garder les moutons avec son père dont il sera vite orphelin.
C’est la deuxième fois que sa mère se retrouve veuve. A la naissance de Giovanni en 1948, elle n’était pourtant âgée que de 18 ans. Giovanni Bosco ne fréquente que l’école élémentaire. Dans le climat lourd d’une époque en attente de juges comme Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, le jeune berger ne parvient pas à s’adapter à son rude métier. Il perd son troupeau, travaille occasionnellement dans une carrière de marbre. Sans que l’on sache très bien comment, il est condamné pour un petit vol de bétail. Il passe deux ans en prison à Trapani, y subissant de mauvais traitements. Pendant son incarcération, il apprend en 1976 que deux de ses jeunes frères ont versé aussi dans la petite délinquance et qu’ils ont été assassinés. Le crime organisé a pris ombrage de leurs juvéniles incartades. Cette tragédie précipite Giovanni Bosco dans la psychose et il semble que des électrochocs lui soient alors prescrits. C’est peut-être à l’hôpital psychiatrique qu’il voit des gens se livrer à des travaux d’art. Il s’en souvient plus tard en dessinant et en écrivant compulsivement sur des supports de fortune (cartons trouvés, boîtes à pizza).
De retour chez lui, il s’adonne à la création malgré la misère où il vit. Solitaire, exposé aux taquineries des gamins et pourtant protégé par ses concitoyens. Fumant et chantant les refrains populaires de Mario Merola, vedette napolitaine qu’il affectionne, il remplit de pleins carnets de ses dessins, il couvre les murs des vieilles maisons de son quartier de fresques où cœurs, robots, personnages élastiques, lames de couteaux, se mêlent et nous interpellent. Ce répertoire de formes est stupéfiant. Un vocabulaire riche et cohérent, totalement personnel s’offre au passant ou au visiteur. L’ancien berger qui n’a plus de métier se désigne dans ses compositions sous le vocable de « Dottore di tutto ». Un artiste local remarque son talent et l’encourage mais c’est à un regard extérieur qu’il devra d’être identifié pour ce qu’il est vraiment : un grand créateur d’art brut.
A partir de 2007, les choses se précipitent. Un intérêt général se manifeste en sa faveur. Il n’est plus obligé de dire que ces « gribouillages » pourraient avoir de la valeur une fois encadrés. On vient maintenant lui en acheter et sa situation commence à s’améliorer. Les gens qui aiment son travail se prennent à rêver… Ils ignorent que Giovanni est atteint d’un cancer et que, à peine sexagénaire, il est condamné. Quand une exposition et un colloque international est organisé à Castellammare del Golfo au début de l’année 2009, Giovanni n’est déjà plus en mesure d’y apparaître et de goûter à la reconnaissance des siens.
Aujourd’hui, Giovanni Bosco fait partie de plusieurs collections majeures d’art brut. En 2014, il est exposé dans l’exposition collective art brut, art brut, collection abcd / Bruno Decharme à La Maison rouge.
Préface : Eva Di Stefano & Jean-Louis Lanoux
Avant-propos : Christian Berst.
Publié à l’occasion de l’exposition Giovanni Bosco : dottore di tutto 2, du 8 mars au 14 avril 2018.