Franco Bellucci
Bellucci a fréquenté l’atelier Blu Cammello à Livourne, où il a été révélé au grand jour par l’artiste Riccardo Bargellini. Ses sculptures hybrides, nées de l’assemblage d’objets hétéroclites, forment un langage mystérieux où les destinées se croisent et se répondent, vues à travers le prisme de la transition, du fétichisme ou de l’apotropée.
Ses œuvres, intégrées aux collections du Musée national d’Art moderne (Pompidou) et du Museum für Moderne Kunst de Francfort, ont été exposées dans de nombreuses manifestations majeures, notamment au Palais de Tokyo à Paris.
« Ces œuvres sont douées d’une puissance symbolique que bien des artistes ‘professionnels’ sont incapables d’atteindre. » (P. Dagen, Le Monde)
Benjamin d’une fratrie de trois enfants, Franco Bellucci naît à Livourne (Italie) en 1945. Une encéphalite contractée dans son enfance freine son développement psychique et l’empêche de parler. À l’adolescence, il manifeste une destructivité compulsive envers les objets qui l’entourent, bien que cette agressivité ne soit jamais dirigée contre autrui ni contre lui-même.
Le 15 février 1961, jour d’une éclipse solaire totale assombrissant le nord de l’Italie, il est pris d’une crise et jette une télévision par la fenêtre. Après une hospitalisation à Livourne, où il détruit une grande partie du mobilier, il est interné à l’hôpital psychiatrique de Volterra. Il y passe la majorité de ses journées attaché à son lit. Connu pour sa force physique exceptionnelle, il est craint pour sa capacité à briser les vitres, arracher des radiateurs et des robinets, actes qui lui causent de graves blessures aux mains.
En 1978, la loi 180 impose la fermeture progressive des hôpitaux psychiatriques. Franco est alors accueilli par sa famille. À son retour, son premier geste est d’ouvrir le tiroir de sa chambre où il avait conservé ses jouets, qu’il retrouve intacts après toutes ces années.
Cependant, diagnostiqué comme « résidu asilaire irrécupérable », il retourne à l’hôpital de Volterra, où il demeure confiné, bien que libéré des attaches physiques, jusqu’en 1998. L’année suivante, il est pris en charge par la doctoresse Ivanna Bianco et son équipe au centre Franco Basaglia, une résidence à « portes ouvertes » à Livourne. C’est là que Riccardo Bargellini crée l’atelier Blu Cammello.
Dans cet environnement où le respect de l’individu est central, Franco déambule librement. Intrigué par cet homme autrefois redouté, Bargellini remarque que Franco manipule en permanence des objets hétéroclites qu’il relie entre eux : sous-vêtements noués à des récipients en plastique, morceaux de tuyaux d’arrosage récupérés, chaussettes volées à ses compagnons de chambre, etc. Chaque week-end, après avoir rendu visite à son frère, Franco revient avec des objets-cadeaux, souvent des rallonges électriques ou des peluches, qu’il transforme en matériaux pour de nouvelles créations, remplaçant les assemblages précédents.
Au fil du temps, Bargellini établit un lien avec Franco en ramassant les objets éparpillés par ce dernier autour du centre, parfois jusqu’aux toits, et en lui fournissant discrètement des matériaux. Ce jeu devient le socle d’une relation profonde et significative.
Ces dernières années, la confiance mutuelle entre les deux hommes a permis à Franco de s’émanciper des liens coercitifs de l’hôpital pour les remplacer par un tissu relationnel riche et bienveillant. Ensemble, ils ont créé un cadre propice à l’épanouissement personnel et artistique de Franco, surnommé le « maître relieur ».
Le travail de Franco Bellucci a été présenté dans plusieurs expositions majeures : en 2013, lors de Banditi dell’Arte à la Halle Saint Pierre ; dans une exposition monographique au MADmusée de Liège en 2014-2015 ; et dans Art brut, collection abcd/Bruno Decharme à la Maison Rouge. Plus récemment, ses œuvres ont été exposées lors de CRIP TIME au Musée d’Art Moderne de Francfort (MMK).
Préface : Gustavo Giacosa
Avant-propos : Christian Berst.
Publié à l’occasion de l’exposition Franco Bellucci : beau comme…, du 17 octobre au 28 novembre 2015.