Luboš Plný
La reconnaissance internationale de Luboš Plný fut confirmée dès 2017 par sa sélection à la 57e Biennale de Venise intitulée Viva Arte Viva (commissariat : Christine Macel). Premier artiste brut acquis par le MNAM en 2013, il a bénéficié d’expositions dans les musées d’art contemporain de Kobe et d’Hiroshima, au Japon, aux Rencontres de la Photographie d’Arles, à la Kunsthalle de Dresde, et dans sa ville d’origine, à Prague, où le Dox Art Center lui a consacré, en 2017, une grande exposition monographique et le Rudolfinum l’a fait dialoguer, en 2022, avec des artistes tels que Louise Bourgeois ou William Kentridge. En septembre 2023, nous lui avons consacré un solo show dans nos deux espaces, une monographie ainsi qu’une performance aux beaux-arts de paris.
Luboš Plný se consacre dès l’enfance à ses deux passions : le dessin et l’anatomie. Celui qui, lors de son service militaire, fut diagnostiqué schizophrène, se mit alors – pour comprendre son état - à étudier avec beaucoup de sérieux la littérature médicale et psychiatrique. Il est d’ailleurs fasciné par ce sujet au point de passer un diplôme de fossoyeur, mais fut également employé comme modèle à l’Académie des Beaux-Arts de Prague. D’où le tampon avec lequel il « signe » toutes ses œuvres « Luboš Plný, modèle académique».
Car son propre corps fait également l’objet d’un grand nombre d’expériences qui s’apparentent parfois à de la mortification, ce dont témoignent ses séries d’autoportraits photographiques qui illustrent sa manière de transformer la douleur en acte de purification. Cette approche, tant empirique que théorique, l’a rendu expert dans les arcanes de l’anatomie, dans les circulations des fluides et des sécrétions. Dessiner l’un de ses organes le conduirait même à une forme de méditation sur les limites de son existence physique. C’est une façon de scander le temps, de conjurer la mort et, in fine, de sublimer la vie.
Dans ses dessins, l’examen de ce corps, de ce qui l’anime et le parcourt, tout autant que ce qui le menace de dépérir, est assujetti à un protocole créatif immuable. Les lignes et les segments sont pourvus, comme dans les relevés topographiques, de chiffres. Ceux-ci ne marquent ni les coordonnées, ni l’altitude, mais l’instant et la durée de la création de chaque parcelle de l’œuvre. Ces mentions renvoient invariablement à la marge du dessin où, récapitulées en écriture serrée, elles en détaillent les séquences.
Ce rapport presque liturgique au temps s’illustre parfaitement dans les deux chiffres qui bordent invariablement le dessin et qui marquent l’âge (en nombre de jours) que l’artiste avait lorsqu’il s’est engagé dans le processus de cette œuvre, et celui qu’il a atteint à son achèvement. Comme une ultime acceptation de sa propre finitude, en un memento mori dont la sophistication le dispute à la mélancolie. « C’est un journal que je poursuis au quotidien » explique-t-il.
Il en va tout autrement de ses objets, qui – bien qu’ils soient également pourvus de ces chiffres qui attestent du temps que Luboš Plný a mis à les concevoir - ne relèvent plus de l’ascèse. Au contraire, serait-on tenté de dire, puisqu’ils exaltent plutôt la pulsion de vie à travers une symbolisation des attributs sexuels. L’éros plutôt que le thanatos, donc.
Ces assemblages hétéroclites - formés aussi bien de cornes, que d’éléments en bois sculpté, de pièces métalliques ou de tuyaux de pvc – ne sont pas sans rappeler la charge baroque des objets surréalistes.
D’ailleurs, l’artiste, pour rendre l’interdépendance des sexes plus explicite encore, agrège parfois ses objets pour former des installations aussi insolites que poétiques.
Textes : Philippe Comar, Claire Margat et Lucie Žabokrtská
Avant-propos : Christian Berst
Catalogue publié à l’occasion de l’exposition luboš plný body language, du 9 septembre au 22 octobre 2023